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N°3 / Decembre 2002

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Le juste prix pour un lait vrai

A l'heure où producteurs de lait et transformateurs passent leur temps et mettent leur énergie à "disputailler" de leurs arguments pour fixer le prix du lait, un montant qui doit porter en définitive sur quelque 25 ou 30 euros par an et par vache (à 8.000 litres) en termes de revenu pour l'éleveur et quelques millièmes de centimes d'euros en termes de prix de revient matière première pour la fabrication d'un yaourt, il ne serait pas mal de s'interroger sur la représentation que se fait le consommateur d'un aliment, mythique pour nos ancêtres, devenu de nos jours ce que les Américains appellent une "commodité".

Fort heureusement, les gens ont encore en France l'idée que le lait (et les produits laitiers) sont des aliments bons pour leur santé. Et, à voir comment se présente l'état sanitaire de la population américaine, dont l'huilage réussi par l'industrie des oléagineux s'est traduit par l'arrêt de la consommation de crème, de beurre et de fromages au lait cru, on ne peut que se féliciter de ce qui se passe chez nous.

L'actualité nous rappelle aux réalités. L'obésité est le problème numéro un auquel sont confrontées nos sociétés occidentales dites "développées". 60 % des Américains sont en surpoids, et un pourcentage élevé de ceux-là, la moitié sans doute, présente une obésité carrément pathologique, en particulier les femmes, dont on sait pourtant tout le souci qu'elles prennent à leur apparence physique.

Le mal est si grave outre-Atlantique que le gouvernement vient de permettre aux citoyens de l'Oncle Sam de déduire de leurs revenus les dépenses engagées pour le traitement de ce fléau. Et pour prouver que sous sommes sur la mauvaise pente, nous aussi, notre ministre de la santé vient de décider une campagne d'information dans tous les médias. Il s'agit de faire prendre conscience à nos compatriotes de ce qui nous menace, quand on "découvre" presque soudain que plus de 10 % des adolescents de 15 ans sont obèses. Espérons que tous les pigistes qui vont se précipiter pour commenter l'évènement n'émailleront pas leurs propos de toutes sortes de contre-vérités, comme cela s'est passé lors des récentes "crises alimentaires" : "épidémie" de listériose due aux fromages au lait cru, poulets à la dioxine, maladie de la vache folle, excès de sel dans nos aliments, j'en passe et d'aussi tristes !

Pour une fois pourtant, le tapage médiatique qui ne va pas manquer de découler de l'information est pleinement justifié. Il implique une réalité concernant des centaines de milliers d'enfants, et des millions d'adultes, ce qui me semble autrement justifié que tout ce qui a été dit en son temps sur toutes les ondes et écrit dans tous les journaux et magazines sur les mesures mises en place pour prévenir quelques dizaines de cas listériose chaque année (ce qui coûte des dizaines de millions de francs), et un ou deux cas d'un soit-disant variant, véhiculé par la viande de boeuf, d'une maladie rarissime affectant dans tous les pays du monde 1 personne par an par million d'habitant (et qui coûte dès à présent un milliard d'euros chaque année aux consommateurs et aux contribuables de notre pays).

Voilà de beaux exemples de gâchis résultant d'une "mésinformation" du public et du manque de courage et de compétence de ceux que nous avons élus pour prendre les décisions adéquates à notre place, sans oublier fonctionnaires et scientifiques adeptes du "principe de parapluie", les conduisant à ouvrir le pépin avant même que n'apparaissent les premiers nuages.

"Manger pour vivre" ne va plus de soi. L'abondance dans la production de nourriture grâce au progrès de la technologie et le développement des transports a succédé aux pénuries engendrées par les aléas climatiques, les épidémies ou les guerres, et aux famines épisodiques qui contribuaient depuis la nuit des temps à réguler l'importance des populations et la corpulence des individus. La nature des denrées dont nous disposons à présent a profondément changé depuis seulement 50 ans et les façons de préparer les repas ont été bouleversées par les changements sociologiques, en particulier le développement du travail des femmes, les ménagères d'antan, dont la compétence nourricière et l'art culinaire se transmettaient de générations en générations.

Nous n'en sommes pas encore à nous gaver de pilules pour couvrir nos besoins alimentaires, mais au train où nous allons... On peut faire confiance aux apprentis sorciers "experts" en la science de la nutrition, ainsi qu'aux industriels de l'agroalimentaire, pour nous présenter toutes sortes de mixtures concoctées dans des officines à l'hygène omniprésente, sensées nous apporter santé et bien-être. Pourtant l'obésité, le diabète gras, nombre de cancers et de troubles cardiovasculaires, certaines allergies, le mal-être physiologique et psychologique de beaucoup sont la conséquence directe des changements intervenus dans notre relation à la nourriture couplée, pour être objectif, à la sédentarité.

Les Français avaient, jusque récemment, été plutôt épargnés par ces fléaux modernes, grâce à leurs traditions culinaires et à leur culture gastronomique. On ne dit pas assez que le pourcentage de morts par maladies coronaires rapporté au million d'habitants est plus de deux fois moins élevé en moyenne en France qu' il ne l'est aux Etats-Unis (145 cas par an pour 100.000 habitants contre 315 pour 100.000 outre-atlantique) et que dans le sud-ouest de notre pays, où le foie gras est un des piliers de la gastronomie locale, il l'est quatre fois moins que là-bas (80 cas par 100.000 habitants). D'après l'annuaire statistique de l'OMS pour l'année 1996, la France est le plus méditerranéen de tous les pays méditerranéens : 180 morts par 100.000 habitants en Espagne et 250 en Grêce. Les Français ont bon coeur et ce n'est pas tellement dû à l'huile d'olive qui ne représente, dans notre pays, que 2 % des apports caloriques moyens.

De récentes enquêtes, effectuées sur la consommation effective des Français entre 1995 et 1997, semblent expliquer pourquoi nos compatriotes jouissent en général d'un meilleur état de leurs artères, tout en absorbant une proportion de calories d'origine lipidique plus élevée que les Américains, les Canadiens qui les imitent et nombre d'autres populations.

Il serait fastidieux de répertorier tous les résultats des recherches qui ont donné lieu à une interprétation tendancieuse ou erronnée par les tenants de l'hypothèse lipidique, qui a été à la base de ce qu'est devenue l'alimentation de nos amis Américains, ainsi que ceux des enquêtes effectuées sur les populations ayant gardé leur alimentation traditionnelle, et dont les résultats embarassent fortement les "dictocrates du régime" (Sally Fallon).

Malgré une consommation de graisses saturées considérable sous la forme de beurre, de crème, de fromages, d'oeufs, de foie, de viande grasse et de charcuteries riches (pâtés, saucisses), les Français ont un pourcentage de maladies cardio-vasculaires bien plus faible que les Américains : 145 infarctus par pour 100.000 habitant d'âge moyen contre 315 en Amérique. Dans le Sud-Ouest de la France, où le foie gras, les confits et la cuisine à la graisse d'oie sont des éléments incontournables du régime alimentaire, il est seulement de 80 pour 100.000 par an, 4 fois moins qu'aux Etats-Unis. Il est vrai que les Crétois font encore mieux avec seulement 38 cas pour 100.000 habitants.

En matière de produits laitiers, le Français a consommé, en l'an 2000, 8,3 kg de beurre, 23,6 kilos de fromages, 3,9 kilos de crème et 75,5 litres de lait, soit l'équivalent de 22,2 kilos de graisses butyriques. Près de 3 fois plus que les 8,3 kg de l'Américain (1,9 kg de beurre, 13,1 kg de fromages, 3,7 kg de crème et 98,9 litres de lait). (source CNIEL)

Naturellement, les produits laitiers ne sont pas responsables à eux seuls de cette heureuse situation. En fait, la France n'est qu'un des élèves les plus doués du "paradoxe méditerranéen", dont le paradygme reconnu est le régime crétois. "Un manichéisme simplificateur en attribue le bénéfice exclusivement à l'huile d'olive." écrit Jean-Marie Bourre de l'Inserm, dans une brochure du CERIN. "Or, celle-ci ne saurait expliquer la totalité du " Paradoxe Français ". Ne serait-ce que parce que cette huile ne fournit que... 2 % environ des calories dans la ration alimentaire des Français ! Cette quantité est trop faible pour tout expliquer; pour agir en quantité si restreinte. Il faudrait qu'elle " recèlât un médicament " (comme l'huile de poisson qui est riche en oméga-3), mais il y a sans doute longtemps qu'il aurait du être découvert. L'acide oléique qu'elle contient (comme de multiples autres aliments) est certainement intéressant, sinon obligatoire ; sa présence éviterait la consommation d'autres graisses, pensent certains."

Il reste qu'en Crête pousse encore plus que dans les autres pays du pourtour méditerranéen une plante sauvage particulièrement riche en omega-3. Les poules s'en régalent, comme s'en régalent aussi limaces et autres animalcules, dont les poules en liberté se régalent aussi... On verra plus loin ce qu'il en résulte pour la composition de leurs oeufs. En fait, on oublie trop souvent qu'il contient des produits laitiers en quantité importante et que l'alimentation des chèvres et des brebis de l'ile est elle-aussi riche en acide linolénique, transformé dans leur panse en CLA, ces acides gras indispensables qui pourraient bien se révéler être de puissants agents anti-cancéreux et anti-athéromateux.

"Pour calmer une petite faim, voilà les délicieux feuilletés fourrés triangulaires dont les Crétois sont si friands. Au fromage, ce sont les "tiropita"; à la viande ils se nomment "creatopita"; et aux épinards ce sont les "spanakopita". Pour ouvrir l'appétit, une multitude de préparations bien tentantes se proposent : "feta" (fromage traditionnel), "dolmades" (feuilles de vigne farcies au riz), "zatziki" (fromage blanc avec ail haché et concombre), "salata koriatiki" (salade de tomates, oignons, concombres et fromage blanc sec). Il y a plus de 3.000 ans que les Crétois sont à ce régime. Trop longtemps on nous a fait passer les a fait passer pour des presque végétariens qui s'adonnaient à l'huile d'olive. Je prendrais bien le pari que les Crétois mangent chaque année plus de kilos de graisses laitières que de litres d'huile d'olive. Chiche ?

Le gros problème de l'alimentation des Français, il n'est donc pas dans la nature des denrées dont ils font le choix, car leurs sols, leurs climats, leur situation géographique qui les fait bénéficier de 3.000 kilomètres de côtes, le savoir et le savoir-faire du trop peu de paysans produisant les quantités et la variété des aliments qui permettraient en pratique à tous les Français et à quelques millions d'Européens de s'auto-suffire pour manger à leur faim. Il est dans la qualité nutritionnelle des produits mis sur le marché en provenance d'une agriculture et d'un élevage qui ont dû augmenter leur productivité pour continuer à pouvoir vivre de leur activité, en raison des prix que leur consentent, sans le vouloir, ni même en avoir la moindre conscience, des consommateurs toujours en quête d'une diminution de la part de leur budget consacrée à leur alimentation, au profit de leur voiture et de leurs loisirs. Mais on peut faire confiance à nos paysans : le jour où les ménagères commenceront à faire savoir qu'elles sont disposées à payer le juste prix, raisonnable s'entend, pour des denrées leur garantissant la qualité nutritonnelle qu'elles espèrent, nos paysans et les industriels de notre agro-alimentaire suivront. Sans avoir besoin de revenir exclusivement aux méthodes utilisées par nos grands-parents pour produire notre nourriture, mais en appliquant judicieusement les progrès de l'agronomie et de l'alimentation des animaux, dans une optique d'amélioration de la qualité de nos aliments.

Ce qui nous ramène au prix du lait, d'un "vrai" lait. Il est invaisemblable que la qualité nutritionnelle de "notre" lait soit toujours hypothéquée par la façon dont il est présenté aujourd'hui encore, malgré tous les progrès réalisés depuis 50 ans dans les domaines de l'hygiène et la prévention des maladies infectieuses véhiculées potentiellement par le lait, du producteur au consommateur en passant par l'industriel qui le conditionne et le distributeur qui le présente à l'acheteur. On a sacrifié la valeur nutritionnelle d'une denrée irremplaçable pour l'équilibre de notre alimentation et de notre santé au désir du pratique, celui d'un aliment qui peut se conserver pendant des mois, en transformant un produit vivant, le lait cru qui sort de la mammelle, en un produit mort. S'il est vrai que la qualité des protéines et des matières grasses (encore que?) que nous y trouvons soit proche du lait d'origine, que dire de l'assimilabilité du calcium "orphelin" qu'il apporte, que dire de son contenu en vitamines naturelles, de l'influence bénéfique perdue des ferments lactiques qu'il ne contient plus, des enzymes qui aideraient à le digérer, des antioxydants malmenés par la chaleur et la durée de conservation?...

Dans les années 1920, les Américains pouvaient se procurer du vrai lait entier cru, de la faisselle toute fraîche, du beurre au goût de noisette et bien jaune naturellement, du babeurre frais, de la crème fraîche plus ou moins épaisse et de délicieux fromages fermiers au lait cru. A présent le lait est accusé de provoquer toutes sortes de maux, depuis les allergies jusqu'aux maladies cardio-vasculaires et au cancer. Lorsque les Américains avaient la possibilité d'acheter du "Vrai Lait Cru", ces maladies étaient rares. A l'époque, la fourniture de produits laitiers de qualité était considérée comme une nécessité vitale pour la sécurité de l'alimentation et la santé des Américains, et le bien-être économique de la Nation.

Au prix de la garantie apportée par la Politique Agricole Commune à la production laitière, au travers de la mise en place des quotas, les contribuables que nous sommes sont en droit d'exiger qu'on se mette en mesure de se fournir en lait et en produits laitiers qu'ils pensent être les meilleurs pour leur équilibre alimentaire, condition indispensable à leur santé et à leur bien-être, quitte à avaler quelques bons microbes qui feront un bien énorme à leur organisme.

En fait, ce que nous sommes en droit d'attendre, c'est de pouvoir acheter du "bon lait", qui ne soit pas de la vacherie!