Ah ! Quel plaisir
D'avoir un' bonn', bell' route !
Ah ! Quel plaisir
De pouvoir s'en servir.
Ah ! Quel plaisir
D'y traîner ses galoches,
D'escalader les talus,
De courir dans les champs
Qu'elle traverse dans le creux d'un lit,
Comme ferait une rivière.
Ah ! Quel plaisir de donner
Des coups de pieds
Au caillou desserti
De sa gangue de marne blanche
Par le passage d'une roue
Dans un trou.
Ah ! Quel plaisir d'y déguster
Des bonheurs minuscules,
Délices des quatre saisons,
Fraises des bois, nèfles, merises,
Châtaignes et noisettes,
Les noix et les fainettes
Et les pommes à cidre
Si acides !
Ou encore des "pé de cô",
Poires de coq ou poires de Caux,
Je ne sais comment les dire.
Bientôt je vais en hiver
Pour picorer comme l'oiseau
Les prunelles d'après les gelées
Et les baies de genièvre aussi.
"C'est bon ?"
"Ben... Oui". Peut-être.
Ah! Quel plaisir d'y rencontrer
Toutes sortes de frayeurs :
La couleuvre affolée,
Qui la traverse de peur,
Qu'il faut vite écraser,
Puisque tout serpent,
Pour les enfants,
C'est toujours une vipère,
Ou pis, un aspic qui pique !
C'est pour ça qu'il faut,
Illico,
Lui tordre le "cô" !
Le taureau évadé d'un pré,
La guimbarde qui brimbale,
Risquant de vous écraser,
Et la vieille pocharde,
La camarade qui guette au loin
Celui qui vient sur la route,
Appuyée sur un bâton,
Et qui vous attend
Au tournant.
Ah ! Quel bonheur ce chemin
Qui mène au commencement
De ma route dans ce monde,
Celui d'une enfance à pied,
D'une jeunesse à vélo,
Celui des joies simples,
Des plaisirs gratuits,
De la convivialité
Et de la Fraternité.
Je ne la reconnais plus à présent.
A force de remblayer,
D'élargir et d'asphalter,
De broyer tout ce qui fait mine
De pousser en sauvagine.
A force de bâtir,
Toutes sortes de maisons,
De planter autour des haies
De cyprès,
Comme s'ils voulaient y cacher
Un anonymat de cimetière,
Ils l'ont fait mourir
Ma bonn', bell' route.
C'en est devenu
Une avenue :
Je ne m'en servirai plus !
Tant pis, n'en parlons plus !
