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La Complainte du Munster qu'on assassine

Monsieur le Président,

Je vous fais cette lettre,
Alors que l'on s'apprête
A me faire disparaître
De cet ici-bas.
Coup bas !

Au nom de grands principes
D'hygiénistes en quête
D'aseptie et d'antisetiques
Et d'une hystérie des listéria,
Patatras ! Voilà que l'on m'abat.

Je m'y plaisais pourtant
Là-haut dans ma montagne,
Auprès de ces marcaires
Qui ne me voulaient rien
Que du bien.

Comme nous étions à l'aise
Dans les Hautes-Chaumes des Vosges,
Géromé le Lorrain et Munster l'Alsacien,
Entre voisins
En bons copains.
Gemutlichkeit !

Sitôt qu'ils m'avaient fait
Du lait fraîchement trait naître,
Nos fermiers se mettaient
En savoir de nous bichonner,
De nous faire toilette,
Ce pendant quinze jours,
Comme le leur avaient appris
Des moines en goguette,
En d'autre temps, jadis.

Puis alors nous allions,
Tout comme nos aînés, faire un stage,
Pour raison d'affinage,
Dans les caves du grand-père
De Virginie Haxaire,
Là où on nous laissait quelque temps
Vivre béatement,
Pour développer des arômes,
Des senteurs, des goûts, des ardeurs
Pour le palais des gastronomes,
A ce qu'on dit, avertis,
Et pour d'autres aussi.

A Vire, en la belle Normandie,
De père en fils, on fait l'andouille encor.
Mais à Camembert à présent,
De bons fromages on ne fabrique guère.
Marie Harel, Dieu ait son âme !,
De honte dans sa tombe se retourne
Quand elle voit ce qu'en ont fait,
De sa merveilleuse invention,
Nos modernes marmitons.

A Lapoutroie, en Alsace pourtant,
On s'efforçait de maintenir
La tradition d'une autre merveille,
Celle du Munster au lait cru.
Mes chers Petits Amis, il n'en faut plus
De ces tout derniers survivants
D'un passé révolu,
D'un antan dépassé.
Suffit ! Assez !
Et ne repassez plus.

Car voilà qu'une gonzesse,
Vétérinaire qu'on m'a dit,
Et Directice de surcroît
Des Vétérinaires Sévices,
M'en veut à mort à présent,
Campée sur ses certitudes
Pas sceptiques du tout,
Et dans son administration
De mon assassinat se fait complice
En faisant fermer la boutique
De mon dernier aubergiste.

Tout çà, voyez, parce que
Un vaguement inspecteur des fraudes
En maraude chez les chouans
A eu l'idée sotte et grenue
De savoir si, par hasard,
Quelques listéria de l'Est venues
Ne risquaient pas de se trouver
Dans un dernier carré
D'un fromage à la coupe,
Séjournant avec d'autres confrères
La veille de sa date limite de consommation,
Voisins de rillettes suspectes,
En compagnie de bien des listéria,
Pas très méchantes au fond,
Qui étaient là sans penser à maladie,
Et qui, trouvant agréable la froidure
En ce lieu tranquille, rarement désinfecté,
S'étaient cachées dans ma croûte avenante,
Ce qui déclencha une alerte
Avec fracas... et pertes

Je leur survivrai sans doute
A tous ces fâcheux, tous ces malencontreux,
Qui doivent justifier leur office,
Leur position avantageuse,
Leur réputation illicite,
Et à tous leurs maléfices,
Lorsqu'ils ouvrent le parapluie
Pour se "couvrir ",
Et passer le mistigri,
A autrui !
Dès qu'ils craignent le plus petit grain,
Dès qu'ils voient les premières gouttes,
Ils hurlent à la listéria,
Même quand il n'y en a pas
Dans le rata !
Ou si peu, mon n'veu.

Dussé-je prendre la maquis,
Partir pour d'autres adrets,
Courir d'autres alpages,
Caché chez des complices
A Maroilles, à Livarot ou dans l'Epoisses,
Je reviendrai toujours par ici
Si jamais, un jour, l'on m'en chasse !

Monsieur le Président,

Je vous ai fait ma lettre à présent...

Je n'ai pourtant tué personne,
Pas même indisposé
Quelqu'ancien bien trop vieux
Ou l'un quelconque de ces humains
Que l'on dit immuno-impécunieux,
Malade d'un sida au long cours,
Ou victime d'un acharnement chimiothérapique,
Bien toxique,
Ou une femme à la dernière extrémité
De sa grossesse,
Enceinte jusqu'aux yeux,
Ou pis encore un ancêtre,
Qui de toute façon
Serait trépassé le jour-même
Sans mon intervention !

Principe de précaution,
Que d'errances, que d'erreurs,
Que dis-je que de crimes
Ne commet-on pas
En ton nom !

Si c'est pour empêcher
Les OGM d'Amérique
De débarquer,
C'est là la bonne excuse,
A laquelle quelqu'un qui sait un peu
Ne croit guère pourtant.

Si c'est au motif de viande folle,
Dont on ne sait même pas
Si prion elle heberge
Pour faire en sorte,
De la sorte,
Que ne nous envahissent
Les hamburgers de la perfide Albion,
Dans nos fast-foods, dans nos cantines,
Alors je n'aurai garde de m'en plaindre,
Encore que je préfèrerais
Qu'on nous dît, sur le sujet,
La vérité quelquefois.

Si c'est pour le coca glacé,
Dont des écoliers belges s'empiffrèrent
Sans aucune modération
Au point d'en avoir mal aux tripes,
Là, vous exagérates,
Je vous le dis sans fard,
Je vous le crie tout net.
Vous eutes beau décortiquer
De la bouteilles les entrailles
En vain vous essayâtes
De justifier une décision
Prise dans la précipitation.

Quant à tout ce qui fut dit,
Et, pire encore écrit,
Lorsque des malhonnêtes,
Des Belges s'il vous plait;
Pyralène ajoutèrent,
Quelques centaines de kilos
A des milliers de tonnes
De bien étranges graisses,
Souffrez que je m'étonne
Que vous en fussiez réduits
A jeter la suspicion
Sur tous les poussins, tous les cochons
Jusqu'aux extrémités de la Chrétienté.

Elles ont bien bon caractère
Toutes ces victimes innocentes
Qui ne vous font point procès.
C'est que peut-être elles ont
A se faire pardonner
A moins qu'elles n'espèrent
Que vous les aidiezà sauver
Ce qui peut l'être encore.

Car si c'est pour détruire
Le dernier carré de nos fromages
De tradition,
Si c'est pour vous montrer
Trop frileux, trop précautionneux,
Foi d'Isidore, point le ferez,
Sans qu'on ne se réveille,
Sans qu'on ne prêche la révolte,
Sans qu'on n'appelle à la résistance,
Sans qu'on n'organise la contestation
Du sacro-saint principe de précaution,
Car c'est idiot, c'est grotesque,
Kafkaïen, ubuesque,
D'agiter en permanence
La menace de l'imminence
De la catastrophe qui ne viendra pas.

Empêchez vite, si vous êtes adeptes
De toutes ces sornettes,
Les cars du ramassage scolaire,
En vertu de ce même principe,
De quitter leur repaire :
Car à la fin de l'an,
Ils auront coûté la vie, A 150 de nos enfants,
Innocents.

Tout comme nos fromages, vois-tu,
Au lait cru, bien entendu.

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