|
|
Réformer la Sécu? Ou plutôt la médecine?
Le 8 janvier 2002, pour la première fois depuis
une décennie, les économistes en charge de la santé
aux Etats-Unis ont fait savoir que les dépenses de santé
ont augmenté plus vite que la croissance de l'économie.
Ces dépenses ont cru entre 1999 et 2000 de 6,9 % pour atteindre
1.3 trillions de dollars par an, alors que le produit national brut américain
n'a augmenté que de 6,5 % en 2001. Ce fut la 3ème année
consécutive où l'on a enregistré cette accélération
des dépenses de santé.
Depuis, malgré une économie sur la pente
de la récession, ces coûts ont continué à croître
plus vite que le produit national brut. Les études prospectives
montrent que, si les tendances actuelles ne sont pas modifiées,
le coût de la santé aux Etats-Unis pourrait atteindre 3 trillions
de dollars en 2011 et que les dépenses absorberaient alors 17%
du produit intérieur brut, au lieu de 13,2% en l'an 2000, selon
les Centers for Medicare and Medicaid services (CMS).
130 milliards d'euros en 2002, c'est ce que la sécurité
sociale a dépensé au titre de l'assurance maladie en France.
Et 130 milliards d'euros, cela fait quelque chose comme 860 milliards
de francs, une unité monétaire qui parle mieux à
notre entendement. A voir que le déficit de notre assurance maladie
a été de dix milliards d'euros en 2003, on peut en déduire
que les dépenses se sont montées à plus de 140 milliards
d'euros l'an dernier.
Ces sommes sont à comparer avec la richesse
nationale produite chaque année (PIB) et les dépenses des
ménages en matière d'achats de produits alimentaires. Boissons
alcoolisées comprises, les Français ont dépensé,
en 2001, 130 milliards d'euros pour leur alimentation, soit à peu
près 13% de leur budget total. Quand on aura fait remarquer qu'entre
1997 et 2001, les dépenses en matière de santé auront
augmenté de 19%, soit 2% de plus que l'augmentation du PIB de notre
pays pour la même période, on peut se demander sur quel poste
de leurs dépenses totales nos concitoyens vont-ils devoir épargner
pour faire face à l'augmentation de leurs dépenses en matière
de santé au rythme actuel de l'ordre de 7 ou 8 % par an, alors
que la croissance de l'économie n'est que de 0,5 à 1 % pendant
le même temps. Il est probable que les remèdes proposés
pour faire face à la situation seront insuffisants pour les années
qui viennent. L'Etat (en fait les contribuables et les consommateurs au
travers de l'augmentation des impots et des taxes) sera une fois de plus
appelé à couvrir les déficits de l'assurance-maladie
des Français par une augmentation du déficit du budget,
et nos compatriotes vont devoir mettre la main au gousset pour payer une
fois de plus également l'augmentation de la CSG que le gouvernement
leur promet. Il faut se rendre à l'évidence : les Français
dépensent plus pour se soigner que pour se nourrir.
Les dépenses en matière de médicaments
devraient en particulier faire l'objet d'une attention particulière.
Songez qu'elles ont augmenté entre 1999 et 2001 de plus de 20%
en volume. De plus en plus d'individus prennent de plus en plus de médicaments
tous les jours et jusqu'à la fin de leurs jours. Ce qui n'est pas
une spécificité française. Dans le Washington Post
du 29 mars 2002, Cecil Connolly écrit que "pour la 4ème
année consécutive, les dépenses de médicaments
prescrits sur ordonnance ont continué à augmenter de 17
% en 2001. Les ventes au détail en pharmacie et par correspondance
par les sociétés spécialisées des médicaments
sur ordonnance se sont élevées à 175.2 milliards
de dollars en 2001, soit une augmentation de 27 milliards de dollars par
rapport à l'année 2000, d'après le National Institute
for Health Care Management (NIHCM), organisation privée sans but
lucratif comprenant des médecins, des administrateurs de compagnies
d'assurance et des hommes politiques des deux bords... Les dépenses
globales en médicaments continuent d'être le composant des
coûts de santé qui augmente le plus rapidement, représentant
environ 10 % des dépenses. Bien que l'augmentation du prix des
médicaments en soit responsable en partie, les chercheurs ont noté
que l'utilisation du médicament et la publicité étaient
aussi des facteurs primordiaux de cette augmentation. En gros, les médecins
signent de plus en plus d'ordonnances pour les médicaments les
plus coûteux et les plus promotionnés par la publicité...
Le plus triste, mais ce n'est pas inattendu, c'est que notre manie d'utiliser
les médicaments est en train de s'étendre aux enfants. Les
Américains ont eu 3.000 milliards d'ordonnances en 2001, ce qui
veut dire chaque Américain, homme, femme ou enfant a été
l'objet d'une ordonnance par mois."
Comme aux Etats-Unis, sur une population vieillissante
souffrant d'arthrite, de diabète, d'hypertension et de teneur élevée
en cholestérol sanguin, les prescriptions de médicaments
risquent de continuer à augmenter chez nous. Et il y a lieu de
s'interroger parfois sur les avantages procurés par une ingestion
journalière de 10 à 20 gélules totalisant 3 ou 4
spécialités pharmaceutiques différentes. Nous sommes
dans un monde de médecins-thérapeutes, souvent amenés
à traiter les symptômes plus que les causes réelles
des pathologies. Il y a un gâchis formidable dans les décisions
prises par les médecins et les malades sur le choix de la médication
à utiliser et sur le moment de l'utiliser.
Je veux bien admettre que certains décès
subits et certaines incapacités physiques que l'on connaissait
autrefois aient bien diminué du tableau clinique contemporain.
Faut-il pour autant en attribuer le bénéfice à une
médication généralisée de certaines décisions
thérapeutiques prises au vu des résultats d'analyses pratiquées
à l'occasion d'une consultation? Et faut-il pour autant passer
sous silence les risques que l'utilisation de certains médicaments
distribués à long terme font courir à ceux qui les
absorbent quotidiennement dans le développement de certaines troubles
de santé, qui sont devenus monnaie courante de nos jours et qu'il
serait hasardeux de relier tous à l'augmentation de l'espérance
de vie dont nous avons la chance de bénéficier.
Il faut que tous les acteurs de la civilisation que
nous en sommes en train d'inventer prennent conscience à présent
que, s'il est toujours souhaitable, souvent efficace, même s'il
est parfois risqué de pallier les conséquences d'une pathologie,
qui ne fait en général plus de nos jours disparaître
rapidement de façon tragique celui qui en est affecté, la
nature "des corps étrangers" introduits dans notre organisme
que sont les médicaments est à l'origine des difficultés
que rencontrent nos contemporains dans leur vie quotidienne et de leurs
ennuis plus ou moins graves de santé.
Que nous l'acceptions ou non, l'homme a la chance d'être
devenu une espèce omnivore. C'est sans doute une des caractéristique
les plus intéressantes qui lui ait permis de coloniser la quasi-totalité
de notre planète et de compter les milliards d'êtres humains
qui la peuplent aujourd'hui. C'est peut-être la cause du développement
de son cerveau et de son intelligence. C'est probablement ce qui permet
à de plus en plus de gens de ne pas mourir prématurément,
et d'espérer vivre de plus en plus longtemps sans devenir des vieillards.
La vie actuelle nous offre la possibilité de satisfaire pleinement
les exigences de notre état d'omnivore, grâce à l'éventail
des denrées alimentaires qui nous sont offertes tous les jours,
tout au long des années.
Une alimentation saine pour avoir l'esprit rasséréné
dans un corps sain, Hippocrate ne disait pas autre chose il y a près
de 2.500 ans : "Que ton aliment soit ton médicament".
La science de la nutrition s'enrichit chaque jour de
nouvelles acquisitions dans la connaissance des besoins alimentaires,
dans la composition des denrées, dans la nature des carences prédisposant
aux maladies, dans les substances indésirables présentes
dans l'alimentation, dans l'influence des modes de production sur la composition
des aliments, dans les modifications, souhaitables ou pas, entraînées
par les procédés de transformation ou de conservation des
aliments, etc...
Il est aussi important d'apprendre à se "nourrir"
que d'apprendre à lire ou à compter, et de se perfectionner
dans ce domaine. Parents, enseignants, écoliers et étudiants,
formateurs doivent y jouer leur rôle. Mais ce sont les médecins
qui doivent en être les acteurs-vedettes du fait de la situation
privilégiée qu'ils occupent dans l'organisation de notre
société, du fait qu'ils sont les acteurs de base de l'activité
à laquelle nous acceptons de consacrer la priorité de notre
enrichissement. Et il faut qu'ils prennent place dans l'information et
la formation de ceux qui viennent les consulter pour une raison ou pour
une autre, et qu'ils dépassent leur rôle de pathologiste.
Les nouvelles pathologies sont la conséquence de notre mode de
vivre et de nous alimenter, et elles ne sont pas dues seulement à
l'alcool, au tabac, au surmenage, au stress...
Manger ne va plus de soi, aujourd'hui il faut se "nourrir".
C'est le meilleur choix que nous puissions faire pour être rassasiés,
état nécessaire à l'équilibre de l'organisme
et condition nécessaire pour atteindre le "bien-être"
physique et psychologique. A défaut du bonheur parfait qui n'existe
pas. Ici-bas!
Malheureusement, nombre de généralistes
et de spécialistes ne sont pas en mesure de jouer un rôle
en matière de nutrition et d'alimentation. Ce n'est pas en supprimant
le beurre, la crème et les oeufs dans le régime d'un patient
présentant un taux de cholestérol un peu élevé
que l'efficacité du traitement instauré va augmenter beaucoup
l'espérance de vie du quidam. L'évolution des connaissances
sur l'influence de notre alimentation quotidienne sur notre santé
et notre bien-être evolue aujourd'hui de façon considérable.
On peut s'interroger sur les capacités en la matière des
étudiants formés en médecine de nos jours et celles
des médecins en exercice qui n'ont la plupart du temps, en matière
de formation contine et d'informations sur la santé, que celle
de leur presse médicale, fnancée par l'industrie pharmaceutique...
|