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N°36 / JUILLET 2003

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Bonnes et mauvaises graisses

Quel rapport peut-il bien y avoir entre l'obésité, les maladies cardiovasculaires, la maladie d'Alzeimer, l'autisme, la maladie de Crohn, le cancer, le diabète de type 2, certaines affections neurologiques, certains troubles du rythme cardiaque, les allergies, les troubles ostéo-articulaires, l'augmentation vertigineuse de certaines affections dégénératives?

La réponse est dans la nature et la quantité des matières grasses de notre alimentation. Et à cet égard, les changements intervenus dans la manière dont les Américains s'alimentent à présent les ont transformés, malgré eux, en près de 300 millions de cobayes au cours des cinquante dernières années. C'est en effet aux Etats-Unis qu'apparaissent et se développent un certain nombre de maladies qui étaient des curiosités il y a un siècle, parce que c'est dans ce pays que les changements intervenus dans l'alimentation traditionnelle ont été les plus profonds et sont à l'oeuvre depuis le plus longtemps.

Il n'y a pas lieu de revenir sur la façon dont l'industrie des oléagineux a littéralement "huilé" l'Amérique. Sous couvert de chasse au cholestérol et aux graisses saturées d'origine animale, accusées d'être à l'origine de l'augmentation des troubles cardiovasculaires observés durant les années 1940, la consommation des denrées d'origine animale, en particulier de graisses laitières et d'oeufs, a considérablement diminué. Or ces denrées étaient chez les Américains d'alors, comme elles le sont encore aujourd'hui pour les Français qui continuent à apprécier la cuisine de leurs grands-parents, les principales source d'acides gras poly-insaturés, aussi indispensables à la vie et à la santé que des vitamines, dont tout le monde sait que ce sont des molécules dont nos organismes ne peuvent pas faire la synthèse, nécessaires à l'accomplissement de nombreuses fonctions dans nos organes. Il nous faut par conséquent les trouver dans notre alimentation sous peine de troubles graves et non guérissables en cas de carences.

En plus, essentiels ou pas, certains acides gras entrent dans la constitution des membranes cellulaires et des organites du corps cellulaire qu'elles délimitent. Or ces membranes sont responsables de la forme des cellules de l'organisme, de la perméabilité cellulaire et des communications intercellulaires. A supposer que l'on puisse éliminer de notre alimentation tout l'acide gras saturé en C18, l'acide stéarique solide à la température de notre corps, accusé d'être l'un des principaux responsables de l'athérosclérose et du développement des plaques artérielles à l'origine des accidents cardiovasculaires, constituant de 50% de la double couche de phospholipides qui forme la membrane de toutes les cellules de notre corps, cela se traduirait par la perte de la rigidité de ces membranes et la forme de nos cellules se modifierait. On peut d'ailleurs s'interroger à propos de l'apparence physique des mastodontes féminines qui déambulent leurs plus de 300 livres dans les couloirs des aéroports américains : sous leurs vêtement flottants, leur masses adipeuses flottent manifestement au gré de leurs mouvements, comme si elles dissimulaient de l'huile sous leur peau.

Ce changement d'habitudes alimentaires est d'autant plus grave que les conditions de production traditionnelle des aliments d'origine animale ont été profondément modifiées, on pourrait presqu'écrire altérées, par l'intensification des techniques d'élevage, et que cela se traduit par des modifications importantes du profil des acides gras contenus autrefois dans les graisses du lait, des oeufs, de la viande des animaux envoyés à l'abattoir, et par conséquent sur la nature et la quantité des acides gras qu'elles contiennent.

Les omega-3 sont des acides gras indispensables. On ne trouve les plus intéressant d'entre eux, l'EPA (acide docosapentaénoïque) et le DHA (acide docosahéxaénoïque) que dans les algues, les huiles de poisson (des mers froides surtout) et dans les produits animaux. Chez l'homme adulte, l'organisme les fabrique à partir d'un autre acide gras indispensable, l'acide alpha-linolénïque, grâce à un équipement enzymatique complexe composé de d'élongases et de désaturases. Or cet équipement enzymatique ne suffit pas à fournir à l'organisme tout l'EPA et le DHA dont il a besoin en certaines circonstances : durant l'enfance et la puberté où la croissance provoque des besoins accrus, lors du vieillissement quand la synthèse est insuffisante, pendant la gestation et l'allaitement pour fabriquer le lait de la femme, qui en est particulièrement riche.

Au cours des récentes années, l'intérêt des scientifiques pour les acides gras oméga-3 a donné lieu à de nombreuses publications. Et le public a été sensibilisé à l'importance de l'apport dans l'alimentation des huiles de poisson gras, qui contiennent des pourcentages élevés de DHA et d'EPA susceptibles de corriger les carences et les déséquilibres entraînés par les modifications inervenues dans notre alimentation contemporaine, en particulier pour la prévention des maladies cardio-vasculaires et des accidents cardiaques ou cérébraux

La distribution d'huile de poisson en quantité suffisante pour aporter 2 à 4 grammes par jour d'EPA et de DHA (dans un rapport 2/1) peut diminuer favorablement les risques d'accidents cardiovasculaires, indépendamment de toute modification de la teneur en cholestérol du sang. Les effets contatés incluent une diminution des triglycérides du sang, un effet anti-thrombose, une diminution de la viscosité du sang et du plasma et une amélioration de l'endothélium des artères. Ces acides gras s'accumulent dans les plaquettes sanguines; ils en diminuent l'adhésivité et empêchent leur aggrégation. Dans le tissu cardiaque, l'accumulation de ces deux acides gras a des effets anti-arythmiques, ce qui explique la diminution d'accidents cardiaques en prévention chez les personnes ayant subi un infarctus.

Aujourd'hui, les Américains ingèrent beaucoup trop d'acides gras poly-insaturés d'un autre type, appelés oméga-6, au travers de la présence d'huiles végétales, partiellement hydrogénées ou pas, dans la plupart des denrées précuisinées. La ration de nos ancêtres dont le régime était à base de viande de boeuf, de lait entier cru, de beurre et de fromages présentait un rapport omega6/oméga3 de 1/1, en raison du fait que leurs animaux étaient élevés, nourris et engraissés au pâturage. A l'heure présente une ration typique peu riche en matières grasses, à base de denrées "low fat, low cholesterol", a élevé le rapport omega-6/omega-3 à une valeur comprise entre 20 et 50!

Sans revenir sur le fait que l'hydrogénation catalytique des huiles saturées provoque la formation d'acides gras "trans". Ces huiles ainsi solidifiées (magarines, shortenings) ont remplacé le beurre et les produits laitiers ainsi que le suif dans la préparation des aliments. Les acides gras trans se sont depuis révélés être la cause probablement la plus importante des accidents cardiovasculaires. Après avoir défendu la non-dangerosité des acides gras "trans" résultant de l'hydrogénation des huiles poly-insaturées, en accordant le statut GRAS (Generally Recognised As Safe) à l'huile de soja "partiellement hydrogénée" par exemple, après avoir tenté de minimiser les quantités d'acides gras trans qu'étaient susceptibles d'avaler les Américains sans danger pour leur santé, voila que la FDA se décide enfin à modifier l'étiquetage des denrées contenant ces acides gras trans en obligeant les fabriquants à en indiquer le pourcentage sur les étiquettes. Une belle façon pour cette organisation toute puissante sur la sécurité alimentaire aux Etats-Unis d'avaler son chapeau...