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N°13 / Janvier 2003

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Réformer notre médecine ?

130 milliards d'euros en 2002, c'est ce que la sécurité sociale a dépensé au titre de l'assurance maladie. Et 130 milliards d'euros, cela fait quelque chose comme 860 milliards de francs, une unité monétaire qui parle mieux à notre entendement.

Or la Sécu ne nous rembourse pas, autant que j'aie pu m'en rendre compte, la totalité des dépenses que nous sommes amenés à engager pour notre santé. Loin s'en faut, et à voir la vitesse ascencionnelle à laquelle grimpent les appels de cotisation de nos mutuelles, il est probable que les 60% de remboursements qu'elle nous octroyait jadis ne sont plus d'actualité et que les dépenses de santé réelles de nos concitoyens doivent être de l'ordre de 1.600 milliards de francs, quelque chose comme 26.500 francs par an, plus de 2.200 francs par mois par Français en moyenne, quel que soit son âge. Il est vrai que le coût de la médecine non hospitalière (consultations, médicaments, soins de "proximité") n'est que d'une cinquantaine de milliards d'euros par an, selon les statistiques de l'INSEE. Par contre, les dépenses de consommations des administrations publiques en matière de santé se sont élevées la même année à plus de 100 milliards d'euros.

Ces sommes sont à comparer avec la richesse nationale produite chaque année (PIB) et les dépenses des ménages en matière d'achats de produits alimentaires. Boissons alcoolisées comprises, les Français ont dépensé, en 2001, 130 milliards d'euros pour leur alimentation, soit à peu près 13% de leur budget total. Quand on aura fait remarquer qu'entre 1997 et 2001, les dépenses en matière de santé auront augmenté de 19%, soit 2% de plus que l'augmentation du PIB de notre pays pour la même période, on peut se demander sur quel poste de leurs dépenses totales nos concitoyens vont-ils devoir épargner pour faire face à l'augmentation de leurs dépenses en matière de santé au rythme actuel de l'ordre de 5% par an, alors que la croissance de l'économie n'est que de 2% pendant le même temps. Il est probable que les remèdes proposés pour faire face à la situation seron insuffisants pour les années qui viennent et que l'Etat sera une fois de plus appelé à couvrir les déficits de l'assurance-maladie des Français par une augmentation du déficit du budget. Il est vrai que ce n'est pas nouveau pour notre pays qui a accumulé près de 6.000 milliards de déficits depuis 1981 et qui vient de s'accorder quelques années de prolongation pour le réduire, en attendant que les générations futures soient obligées un jour de rembourser nos dettes de santé au moyen d'une RDS bis ou ter.

Les dépenses en matière de médicaments devraient en particulier faire l'objet d'une attention particulière. Songez qu'elles ont augmenté entre 1999 et 2001 de plus de 20% en volume. De plus en plus d'individus prennent de plus en plus de médicaments tous les jours et jusqu'à la fin de leurs jours. Ce qui n'est pas une spécificité française. Dans le Washington Post du 29 mars 2002, Cecil Connolly écrit que "pour la 4ème année consécutive, les dépenses de médicaments prescrits sur ordonnance ont continué à augmenter de 17 % en 2001... Les ventes au détail en pharmacie et par correspondance par les sociétés spécialisées des médicaments sur ordonnance se sont élevées à 175.2 milliards de dollars en 2001, soit une augmentation de 27 milliards de dollars par rapport à l'année 2000, d'après le National Institute for Health Care Management (NIHCM), organisation privée sans but lucratif comprenant des médecins, des administrateurs de compagnies d'assurance et des hommes politiques des deux bords... Les dépenses globales en médicaments continuent d'être le composant des coûts de santé qui augmente le plus rapidement, représentant environ 10 % des dépenses. Bien que l'augmentation du prix des médicament en soit responsable en partie, les chercheurs ont noté que l'utilisation du médicament et la publicité étaient aussi des facteurs primordiaux de cette augmentation. En gros, les médecins signent de plus en plus d'ordonnances pour les médicaments les plus coûteux et les plus promotionnés par la publicité... Le plus triste, mais ce n'est pas inattendu, c'est que notre manie d'utiliser les médicaments est en train de s'étendre aux enfants. Les Américains ont eu 3.000 milliards d'ordonnances en 2001, ce qui veut dire chaque Américain, homme, femme ou enfant a été l'objet d'une ordonnance par mois."

Comme aux Etats-Unis, sur une population vieillissante souffrant d'arthrite, de diabète, d'hypertension et de teneur élevée en cholestérol sanguin, les prescriptions de médicaments risquent de continuer à augmenter chez nous. Et il y a lieu de s'interroger parfois sur les avantages procurés par une ingestion journalière de 10 à 20 gélules totalisant 3 ou 4 spécialités pharmaceutiques différentes. Nous sommes dans un monde de médecins-thérapeutes, souvent amenés à traiter les symptômes plus que les causes réelles des pathologies. Il y a un gâchis formidable dans les décisions prises par les médecins et les malades sur le choix de la médication à utiliser et sur le moment de l'utiliser.

Prenez par exemple le cas des médications pour faire baisser le taux de cholestérol sanguin chez les femmes. La plupart des gens l'ignorent, mais chez nos compagnes la corrélation entre cholestérol sérique et risque coronarien est beaucoup plus faible que chez l'homme

Dans son livre "Vivre avec du cholestérol" ( Editions du Rocher du Rocher, 1992, p. 33-35), le Professeur Marian Apfelbaum, qui balaie lui aussi bien des idées fausses dans le domaine du cholestérol, écrit ceci :

"Qu'en est-il chez la femme? Trois études prospectives, incluant des informations sur l'infarctus du myocarde et les taux de cholestérol LDL et HDL, avaient été faites: celle de Framingham, déjà citée, celle de Lipid Clinics [Circulations, 1987, p. 1102-1109] et celle de Tel Aviv [Am. J. Cardiol., 1987, p. 1271-1276]. Toutes trois nous apprennent qu'il n'y a aucune relation entre infarctus et taux de cholestérol total jusqu'à 2,65g, et une au-dessus. Par l'étude de Tel Aviv, on apprend que, pour le groupe de femmes dont le taux de cholestérol HDL est au-dessus de la médiane, il n'y a pas de relation cholestérol-infarctus, même pour les taux de cholestérol au-dessus de 2,65g.

"En conclusion, chez la femme, la mortalité coronarienne ne dépend point du taux de cholestérol total, sauf valeur très élevée, et cette protection perdure jusqu'à la ménopause. Il est urgent de faire connaître une donnée majeure : la supplémentation en oestrogènes chez la femme ménopausée lui assure le maitien de l'immunité. Deux publications suffiront à une documentation robuste (parmi la trentaine sur le sujet, toutes concordantes) : lorsqu'on a donné, pendant un mois, à la fois une diète riche en cholestérol (995 mg par jour, soit trois fois plus que la consommation moyenne habituelle) et un microgramme par kilo de poids corporel d'un oestrogène, l'éthinyl-oestradiol, on trouve que le taux de cholestérol total (après la période avec oestrogène, contre celle sans oestrogène) diminue de 25%, le "mauvais" cholestérol (LDL) diminue de 25%, le "bon" (HDL) augmente de 20% et, dans le HDL, seule la sous-fraction particulièrement protectrice, HDL2, augmente. Voilà qui est encourageant. Mais cette évolution si favorable des facteurs de risque correspond-elle à un avantage en termes de maladie et de mort?

"La réponse est donnée par une autre publication, aux résultats spectaculaires. Des femmes ménopausées, dont les coronaires avaient été angiographiées (radiographiées), ont été suivies pendant dix ans. L'usage des oestrogènes provoque une amélioration de survie dans tous les groupes; l'avantage est net pour les femmes à coronaires apparemment saines (2% de mort en dix ans contre 9%); fort pour les femmes dont les coronaires sont fortement bouchées (4% de mort contre 15%; énorme pour celles dont les coronaires sont très fortement bouchées (3% de mort contre 40%!). Au total la mortalité est trois fois plus forte chez les femmes dont les coronaires étaient initialement indemnes et qui ne prennent pas d'oestrogène (9%) que chez celles qui avaient les coronaires fortement bouchées mais qui prennent des oestrogènes (3%).

"La cause est entendue: le danger coronarien est pratiquement nul, quel que soit leur taux de cholestérol (sauf hypercholestéromies massives), chez les femmes non ménopausées; il suffit qu'elles prennent toutes des oestrogènes à leur ménopause pour que cela demeure vrai longtemps."

Je veux bien admettre que certaines incapacités physiques que l'on connaissait autrefois aient disparu du tableau clinique contemporain. Faut-il pour autant en attribuer le bénéfice à une médication généralisée de certaines décisions thérapeutiques prises au vu des résultats d'analyses pratiquées à l'occasion d'une consultation? Et faut-il pour autant passer sous silence les risques que l'utilisation de certains médicaments distribués à long terme font courir à ceux qui les absorbent quotidiennement dans le développement de certaines troubles de santé, qui sont devenus monnaie courante de nos jours et qu'il serait hasardeux de relier tous à l'augmentation de l'espérance de vie dont nous avons la chance de bénéficier?

De toute façon, il faudra se faire à la raison que la médicalisation généralisée de toute une population n'est pas le fruit du hasard et qu'elle n'est pas seulement que la conséquence du vieillissement consécutif à l'augmentation de l'espérance de vie. Nous avons déjà nous-mêmes bénéficié des méthodes de prévention en matière de maladies infectieuses grâce aux vaccinations et à certaines mesures hygiéniques. Les progrès de l'agriculture, de l'élevage, des transports, des méthodes de conservation des aliments et l'amélioration du pouvoir d'achat moyen ont permis la disparition des conséquences de la sous-alimentation dans les pays développés, facteur des plus importants de la prédisposition à la maladie.

Il faut que tous les acteurs de la civilisation que nous en somme en train d'inventer prennent conscience à présent que, s'il est toujours souhaitable, souvent efficace, même s'il est parfois risqué de pallier les conséquences d'une pathologie, qui ne fait en général plus de nos jours disparaître rapidement de façon tragique celui qui en est affecté, la nature "des corps étrangers" introduits dans notre organisme que sont nos aliments est à l'origine des difficultés que rencontrent nos contemporains dans leur vie quotidienne et de leurs ennuis plus ou moins graves de santé.

Que nous l'acceptions ou non, l'homme a la chance d'être devenu une espèce omnivore. C'est sans doute une des caractéristique les plus intéressantes qui lui ait permis de coloniser la quasi-totalité de notre planète et de compter les milliards d'êtres humains qui la peuplent aujourd'hui. C'est peut-être la cause du développement de son cerveau et de son intelligence. C'est probablement ce qui permet à de plus en plus de gens de ne pas mourir prématurément, et d'espérer vivre de plus en plus longtemps sans devenir des vieillards. La vie actuelle nous offre la possibilité de satisfaire pleinement les exigences de notre état d'omnivore, grâce à l'éventail des denrées alimentaires qui nous sont offertes tous les jours, tout au long des années.

Une alimentation saine pour avoir l'esprit rasséréné dans un corps sain, Hippocrate ne disait pas autre chose il y a près de 2.500 ans : "Que ton aliment soit ton médicament".

La science de la nutrition s'enrichit chaque jour de nouvelles acquisitions dans la connaissance des besoins alimentaires, dans la composition des denrées, dans la nature des carences prédisposant aux maladies, dans les substances indésirables présentes dans l'alimentation, dans l'influence des modes de production sur la composition des aliments, dans les modifications, souhaitables ou pas, entraînées par les procédés de transformation ou de conservation des aliments, etc...

Il est aussi important d'apprendre à se "nourrir" que d'apprendre à lire ou à compter, et de se perfectionner dans ce domaine. Parents, enseignants, écoliers et étudiants, formateurs doivent y jouer leur rôle. Mais ce sont les médecins qui doivent en être les acteurs-vedettes du fait de la situation privilégiée qu'ils occupent dans l'organisation de notre société, du fait qu'ils sont les acteurs de base de l'activité à laquelle nous acceptons de consacrer la priorité de notre enrichissement. Et il faut qu'ils prennent place dans l'information et la formation de ceux qui viennent les consulter pour une raison ou pour une autre, et qu'ils dépassent leur rôle de pathologiste. Les nouvelles pathologies sont la conséquence de notre mode de vivre et de nous alimenter, et elles ne sont pas dues seulement à l'alcool, au tabac, au surmenage, au stress...

Manger ne va plus de soi, aujourd'hui il faut se "nourrir". C'est le meilleur choix que nous puissions faire pour être rassasiés, état nécessaire à l'équilibre de l'organisme et condition nécessaire pour atteindre le "bien-être" physique et psychologique.

A défaut du bonheur parfait qui n'existe pas. Ici-bas!