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n°3 Juillet 2002

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Extrait du Wall Street Journal, July 9, 2002

COMMENTARY

Le régime de l'homme des cavernes

By LIONEL TIGER

Constatons-le, le problème américain de l'obésité n'est plus sous contrôle. Un petit tour estival dans un corridor de n'importe quel aéroport américain vous fait croiser une famille de 5 personnes qui ressemblent à des mastodontes dans des tenues vestimentaires appropriées. Les adolescents montrent tous les symptômes du diabète à 15 ans et l'obésité est une cause nationale. Les étagères des libraires regorgent de livres sur les régimes, face à face avec l'ennemi, les livres de cuisine de l'autre coté du rayon. Pratiquement tout le monde est au régime et les gens qui osent encore convier leurs amis à dîner doivent négocier les périlleux rapides du choix de denrées garanties basses-calories, avec de faibles teneurs en sel, en cholestérol, en lipides et en tout ce que vous pouvez imaginer.

Les gens vont voir leur toubib pour demander un contrôle de leur cholestérol et de leurs triglycérides, avec des airs solennels proche de ceux propres à une confession. " Le Péché à Table sera révélé lorsque le "grand sorcier" inspectera vos entrailles après la mort". Le choix de la nourriture est devenu à présent question de métaphysique et de morale, et non plus simplement de plaisir et de sensualité. Quelque chose de fondamental pose question, et ce n'est pas seulement la gloutonnerie.

Il y a là argument qui commence à se faire jour à propos de ce qu'est la révolution agricole. Regardons un peu vers le passé. Nous avons évolué en tant qu'êtres vivant de chasse et de cueillette.

Un étudiant diplômé dans mon service au Rutgers Hospital, Matt Sponheimer, a publié dans Nature en 1999 un article sur l'étude par micro-analyse de l'usure des dents fossiles de nos ancêtres, montrant qu'ils mangeaient de la viande il y a 2,5 millions d'années. A présent, nous mangeons viande, poisson, fruits et légumes, et des noix de toutes sortes. Il faut que nous assumions que notre physiologie a évolué avec ce régime. L'alimentation équilibrée dans l'espèce humaine est celle à laquelle nous avons pu nous adapter, et non pas ce que gouvernement et médecins nous disent à présent de manger.

Les hommes devaient avoir faim tout le temps à cette époque-là. Quand il y avait besoin de diminuer la prise de nourriture, l'organisme ralentissait son métabolisme pour compenser. Nous ne nous mettions pas à courir après dîner pour brûler les calories, mais nous faisions la course avant de dîner, pour le dîner. Il y a seulement 10.000 ans que nous avons appris à domestiquer les animaux, à faire pousser les céréales et de nous asseoir pour nous mettre à table pour manger.

Voilà des années qu'une controverse s'est établie au sein de la médecine et de l'anthropologie au sujet d'une possible dangerosité des denrées produites par l'agriculture à présent, attitude rendue nécessaire en raison de la situation surpeuplée de notre planète. L'expression la plus populaire de ce souci aiguisé sur la qualité des produits agricoles a été le livre de Robert Atkins publié en 1972, "Révolution alimentaire", dans lequel l'auteur démontre que manger des hydrates de carbone bon marché, en particulier des céréales, donne faim aux gens et fait qu'ils mangent plus et engraissent. Toute une série de modifications endocriniennes, démontre-t-il, se produisent dans notre corps qui font que les aliments préconisés par les Autorités Officielles - le pain, les pâtes et le riz par exemple - provoquent la faim et la suralimentation. Au contraire, l'auteur conseillait de manger plus de denrées contenant des graisses animales plus aptes à provoquer la satiété, y compris l'ingestion journalière d'oeufs au bacon, de cheeseburgers au bacon, de sauces à la crème, éliminant les farines et presque sans fruits.Les autorités médicales et nutritionnelles trouvèrent cette position intolérable et le firent savoir à grand bruit. Par la suite, le taux de cholestérol devint aussi important que le résultat des tests du QI et pour certains une réelle richesse.

En 1987, trois membres d'une faculté de l'Université Emory, Boyd Eaton, Mel Konner et Marjorie Shostak, publièrent "La Prescription Paléolithique", un livre dans lequel ils analysaient ce que mangeaient nos ancêtres (et physiologiquement nous sommes encore ce qu'étaient nos ancêtres), et ils recommandaient un régime approprié à la vie moderne qui différait sensiblement de la pyramide alimentaire chère à notre Ministère de l'Agriculture. Mais il y avait une différence sensible avec le genre de nourriture absorbée par les Atkins, en ce sens que cette peuplade de l'Age de Pierre mangeait de la viande beaucoup moins grasse que celle de nos animaux domestiques nourris avec des céréales (encore elles !) qui peuvent contenir jusqu'à 36 % de graisse, le double de ce que peut contenir la viande des boeufs engraissés au pré. Les volailles sauvages et le gibier quant à eux présentent des teneurs de 3 à 4 % de graisse, comme la plupart des poissons. Les anciens ne disposaient pas de bacon salé, de sucre non plus qui est une acquisition relativement récente de notre civilisation.

Maintenant, vous pouvez vous payer une brouette de sucre pour une pièce de dix sous et les gosses avalent plus de soft-drinks que d'eau. Les écoles sont payées par les sociétés commerciales afin d'installer leurs machines à vendre dans les couloirs, ce qui commence à déclencher la fureur des parents, en Californie d'abord et bien sûr comme d'habitude. Il ne me surprendait pas que d'ici 15 à 20 ans les machines à vendre du soda aient le même statut dans l'école que celui réservé aujourd'hui aux machines à vendre des cigarettes dans les universités. Il y a 16 mois, l''écrivain dans le domaine scientifique, Gary Taubes, a publié un long essai dans la revue Science, dans lequel il décrivait l'embarras des scientifiques confrontés au fait qu'un régime draconien axé sur le végétarisme ne provoquait pas un allongement de la vie. Le 13 juin deernier, le Wall Street Journal a publié une critique solide de la Pyramide Alimentaire du Ministère de l'Agriculture et dimanche dernier Monsieur Taubes a écrit un article sur le même sujet dans le New-York Magazine. La controverse est sur le tapis. Il va y avoir beaucoup de prises de bec dans les dîners et avec les médecins à partir de maintenant. Qu'y faire ?

Le bon côté de la controverse, c'est que nous assistons à la naissance d'une nouvelle forme d'environnementalisme, non pas ce qui est dehors et sent bon, mais ce que nous ingérons, nous qui sommes équipés par l'évolution assimiler ce que nous pouvons digérer pour être en bonne santé, sans devenir gras, ni malades. Cela veut dire qu'il nous faut redevenir des Citoyens de l'Age de Pierre et que nous devons nous alimenter et faire de l'exercice comme eux.

Naturellement, la modération est de mise et facile. Pour ce qu'elle vaut, j'ai découvert un régime paléolithique agréable et faisable, même si j'habite Manhattan qui présente, en particulier à l'heure du déjeûner, quelques-uns de meilleurs plats du monde à des prix défiant toute concurrence.

Deux baconburgers par jour, ce ne serait pas salubre, mais deux baconburgers par semaine, c'est possible. La table du dîner ne devrait pas être un champ de bataille, mais un lieu de plaisir partagé, parce que nous sommes une espèce d'omnivores qui aimons manger en groupe. Alors, devenez lumière, mangez la nourriture pour laquelle vous êtes faits et vous rendrez les autres lumineux eux aussi.

Quant à moi, je vais prendre un sandwich, sans pain s'il vous plait !

Mr. Lionel Tiger, professeur d'anthropologie at Rutgers, est l'auteur du livre "Le Déclin des Mâles" (Golden Books, 1999).