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La Gourmandie à l'épreuve d'une Armada

Par Isidore Lafourche

N'ayant pas eu d'idée bien arrêtée sur ce nouveau sujet de controverse entre les Normands, je n'avais jusqu'à présent pas éprouvé le besoin de m'exprimer sur la question de la Gourmandie, vocable qui est supposé représenter les denrées gourmandes des deux régions normandes. Après tout, "P'tet' ben qu'oui!"

J'ai été déçu par mes visites au récent Salon de l'Agriculture en mars dernier. Alors que tous médias coalisés claironnaient que la Normandie était l'invitée d'honneur de la manifestation, dont il n'est pas besoin de mesurer l'influence nationale et internationale sur l'opinion qu'elle donne de notre élevage et de nos productions agricoles au public, j'étais resté sur ma faim de "Gourmandie" qui avait été choisie pour être l'outil de la promotion des produits normands. Toujours un peu suspect de chercher à polémiquer, je m'étais cru obligé à une prudente réserve pour ne pas risquer de compliquer la tâche de ceux qui ont été chargés de cette promotion de l'agroalimentaire normand.

Je crois sincèrement que ce concept issu d'une contraction de mots après tout pas trop difficile à inventer est le type même de la fausse bonne idée.

Dans l'imaginaire des Français et des nombreux touristes étrangers qui visitent notre "belle province" (voisins d'Angleterre, vétérans Allemands de la bataille de Normandie et leurs descendants, Américains qui ont payé le lourd tribut de sa libération, Italiens et Espagnols à présent, tellement d'autres), la Normandie est le l'archétype même du bonheur de manger. Vaches paisibles et boeufs gras ruminant dans les vergers de pommiers, produits de la mer omniprésents, viandes grasses, tendres et savoureuses, cuisine au beurre (et à la crème), légumes de toute sorte à profusion pour l'accompagner harmonieusement, fromages à pâte molle uniques (quatre AOC et un cinquième qui la mériterait), desserts, desserts incontournables qui font la part belle à des produits laitiers dont la qualité et la finesse sont irréprochables. Sans parler du cidre qui est de plus en plus sans mauvaise surprise, qui contient deux fois moins d'alcool au volume ingurgité que le vin. Sans oublier le calvados du sorbet au calva après les entrées généreuses de la mise en bouche et avant le plat de résistance toujours roboratif, façon nouvelle et astucieuse de sacrifier à la tradition du trou normand, sans risque bien avéré d'hypothéquer le capital de points de son permis de conduire...

A vrai dire, la Normandie se suffit bien à elle-même pour la promotion de la qualité des produits normands et il est invraisemblable que le label "Normandie" ne soit même pas dans les cartons du Comité d'Expansion des produits Normands. Songez qu'il y a un label "Ardennes", un label "Pas-de-Calais"! Je suis convaincu qu'un parrainage de ce genre n'aurait pas besoin de grande publicité pour susciter l'intérêt du consommateur-acheteur.

A condition qu'il recouvre des denrées produites-élaborées-transformées sur le territoire normand dans le respect d'une certaine tradition culinaire. Je ne vois pas bien un label normand sur du cassoulet en boite, fût-il produit à partir d'oies normandes, de charcuterie élaborée à partir du porc de Bayeux et de haricots demi-secs récoltés par nos horticulteurs. Ce n'est pas parce que la grande majorité des camemberts pasteurisés commercialisés en France se disent fabriqués en Normandie (avec du lait de partout) qu'ils peuvent avoir un intérêt par rapport à n'importe quel camembert pasteurisé fabriqué ailleurs que dans les frontières de notre province. Je vois d'ailleurs venir, d'ici moins de dix ans, le rayon fromager des grandes surfaces de notre pays envahi de camemberts pasteurisés à bon marché, fabriqués en Pologne (par des industriels français) : ce n'est pas d'hier qu'il se fait du camembert dans de nombreux pays sur la planète, et même en Afrique de l'Ouest avec du lait déshydraté et une technique mise au point par notre INRA national..

S'il est vrai, comme le rapporte l'organe de presse du Mouvement Normand dans son numéro de mai 2003, que le budget de l'IRQUA 2002 s'est élevé à 1.204.476 euros (près de 8 millions de francs), et qu'il y en a eu pour faire connaître "Gourmandie" 454.191 euros de dépensés (soit près de 3 millions), je m'explique pourquoi j'ai dû m'escrimer pour me faire aider par divers professionnels des produits laitiers, pour que les fromages de tradition de la Normandie soient présents sur le site de l'Armada de Rouen 2003. Pour payer les 1.600 et plus d'euros nécessaires à l'acquisition de 6 mètres carrés d'espace avec branchement électrique pour faire fonctionner l'indispensable vitrine réfrigérée nécessaire à l'exposition des fromages de Normandie au public, il me faudra puiser dans les maigres ressources de l'Adeftra pour régler les 600 euros non financés par mes sponsors, les 300 euros nécessaires à payer le stagiaire de l'Ecole de Commerce de Rouen qui m'aura aidé à être présent sur le site sans interruption de 9 heures du matin jusqu'à plus de minuit pendant 10 jours.

Pas étonnant que les candidats à un espace dans le village de Gourmandie ne se soient pas bouculés au portillon et que ceux qui se soient laissés séduire ne réprésentent que des individuels, qui assurent eux mêmes la présence dans leur stand et qui ne sont pas représentatifs de l'importante production agro-alimentaire de la Normandie. Une petite douzaine d'entreprises familiales y présentent leurs fabrications artisanales. Seule l'Association que je représente y expose, y fait déguster et y vend l'ensemble des fromages au lait cru de Normandie.

Sans assistance aucune des régions, ni des départements Normands. Et sans que l'ensemble des entreprises impliquées dans leur fabrication ait manifesté un intérêt quelconque pour le village de la Gourmandie, directement ou indirectement.

La Normandie a été l'invitée d'honneur de la semaine de l'Agriculture 2003. Je pense que les produits de la Normandie, toute la gamme des productions de ses terroirs et de son littoral eussent dû l'être de l'Armada de Rouen. Je suis certain que les visiteurs auraient autrement apprécié l'opération qu'une parodie d'animation confinée dans une tente de 400 m2, à l'écart de l'évènement, dans un village de Gourmandie où on ne peut pas dire que les curieux se soient bousculés en dehors des épisodes orageux pendant les quels il tombait des cordes.

Perseverare?