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n°11

La mort par détresse : où sont les coupables?

Dans le Monde du 25 octobre dont, grâce à Internet, je viens de lire les articles sur le suicide des "paysans", Ariane Chemin informe ses lecteurs de l'inquiétude de la Mutualité Sociale Agricole devant l'augmentation des suicides dans le milieu agricole.

Si le moule à penser des élites technocrates et politiques de notre pays se met enfin à évoquer le sujet, c'est que la situation est particulièrement grave et on peut peut-être espérer que l'on va enfin consacrer un peu de l'argent gaspillé en matière de santé publique à la prévention d'une cause de mortalité importante dans une catégorie de producteurs qui ont été affectées, financièrement et moralement au delà de l'imaginable, par la crise de l'élevage en général, et celle de la vache folle en particulier.

La Manche est par excellence un des départements français où le monde agricole était épargné par les secousses économiques engendrées par les mutations dans l'agriculture. Les paysans de la région, qui n'étaient pas tous des alcooliques imprégnés de "goutte", avaient su développer de nombreusses structures d'approvisionnement et de commercialisation de leurs productions. Certaines d'entre elles figuraient parmi les plus importantes et les plus dynamiques de notre agriculture.

Et voilà qu'on nous avoue sous cape que ce département, et ce n'est pas que la terre y soit infertile, ni que les conditions climatiques y soient défavorables à l'élevage (Dieu merci et Gulf-Stream à l'appui), voilà donc que ce département pointe à la 74ème place des départements français en matière de revenu agricole! "De nombreux agriculteurs y vivent avec moins de 4.600 euros par an", soit moins de 2.500 francs par mois. Et probablement sans la prime de Noël que notre société accorde libéralement à de nombreux RMIstes, dont la contribution à l'effort de production de notre pays est loin d'approcher celui de ces forçats attachés à leur exploitation 365 jours par an, en dehors de l'escapade qu'ils s'accordent pour aller au marché hebdomadaire du canton, où d'ailleurs ils n'ont plus l'occasion d'aller commercialiser leur production à des consommateurs qui sont partis faire leur courses d'alimentation dans les supermarchés fleurissant à l'extérieur des bourgs, en provoquant la fermeture des devantures des boutiques dans les centre-villes, autrefois si animés et si pittoresques les jours de marché.

Il parait étonnant que la Mutualité Sociale Agricole soit incapable de donner des chiffres à l'échelon national. A l'époque où je suis en mesure de connaître les chiffres de fréquentation de mes sites Internet le surlendemain du jour où ils ont été consultés, et par qui ils l'ont été, il est invraisemblable que l'on ne puisse pas avoir de données fiables sur les suicides dans le monde agricole et qui, en milieu rural, en est réduit à cette extrémité. Dans les douze cantons du Sud de la Manche, le taux de suicides est deux à trois fois plus élevé que la moyenne nationale, et on devine bien qui se suicide dans ces cantons : ce ne sont en général ni les fonctionnaires, ni les retraités de la poste, d'EDF ou de la SNCF.

Le Français ignorent qu'un retraité dans l'Agriculture, après 40 ans de besognes fastidieuses, touche à peu près autant qu'un RMIste, et qu'il doive bien souvent continuer d'exploiter sous le nom de son épouse dans l'attente qu'elle atteigne elle aussi l'âge de la retraite, lui permettant ainsi de cumuler deux maigres revenus pour vivre comme un pauvre. Les Français ignorent que la majorité des femmes d'agriculteurs, qui sont loin d'être toutes des filles de paysans et pas plus sottes d'avoir épousé un agriculteur, ont à présent une activité rénumérée en dehors de l'exploitation de leur mari, et que leur salaire sert parfois à régler une échéance ou une cotisation sociale en retard...

Alors, quand en plus ces Français-là vous mettent sur le dos tout ce qu'ils perçoivent comme misères de leur existence (qualité de la bouffe qu'ils veulent payer toujours moins cher, pollution de l'eau, maladies imaginaires et dégradation de l'environnement), il y a de quoi se laisser aller au découragement, à commettre l'irréparable devant l'absence de perspectives.

Ne pensez-vous pas que l'argent consacré en matière de prévention de maladie de vache folle, serait autrement plus efficace s'il était destiné à redonner un peu d'espoir aux éleveurs, cette catégorie de paysans qui a été ruinée par les idées fausses de "scientifiques" plus que précautionneux, qui ne veulent pas reconnaître qu'ils se sont trompés, et de politiques froussards, qui ne sont pas capables d'avouer qu'en l'occurrence on les a trompés.

N'en déplaise à l'ancien ministre de l'Agriculture, il était prévisible que la politique menée pour palier les conséquences de la crise de confiance des consommateurs vis à vis de la viande bovine conduirait à la ruine de l'élevage de notre pays. On en voit l'une des conséquences dans la conduite de ces désespérés. Si rien n'est fait pour changer le cours actuel des évènement, il y aura beaucoup d'autres morts. Des meurtres?

"Perseverare diabolicum est".