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n°9

Lettre au Directeur du Cidil à propos de l'exposition "la France aux 1000 fromages"

Le 29 septembre 2002

Monsieur Henri Boutonnat
CIDIL
42, rue de Chateaudun
75007 PARIS

Cher Monsieur,
Je vous avoue que je me suis fait avoir moi-aussi.
Le titre de l'Expo était si alléchant, excitait tant la curiosité : "La France aux
1 000 Fromages". Pensez si cela allait faire rêver le peuple et "exciter les folliculaires" comme aurait dit Brassens.
Vous, vous n'avez pas été déçu. Grâce au tapage médiatique, séduit par la perspective de la présentation d'une vitrine aussi imposante et de l'étalement d'une telle diversité, les blaireaux de Paris ont répondu à l'invite. Ils ont fait la queue, parfois sous les parapluies, plus d'une demi-heure pour la majorité d'entre eux, pour sortir de leur gousset les deux euros nécessaires à l'achat du sésame nécessaire à l'entrée de la tente des Merveilles, le "patrimoine fromager de notre pays". Le CIDIL n'a probablement pas d'argent à jeter par les fenêtres, en dépit de l'assise si large de ses financements, et il fallait donc financer le coût de l'exposition dans ce lieu prestigieux que sont les Tuileries... Il est vrai que le billet d'entrée donnait lieu à la distribution gratuite d'un ticket permettant de rapporter chez soi un assiette de présentation en plastique sous le couvercle de laquelle se morfondaient de pâles copies des diverses productions fromagères traditionnelles de nos belles provinces.
Je ne sais ce que les autres provinces conviées à cette distribution ont pu offrir à l'appétit des visiteurs, mais j'ai pu me faire une idée de ce qu'ont dû penser les connaisseurs de l'assiette des fromages normands. Je m'en voudrais de détailler les échantillons que l'on avait dû se faire donner ou que l'on avait achetés au rabais.
Par contre, je crie mon incompréhension de la sélection des fromages normands présentée. Je ne me fais plus trop d'illusions à leur propos et ce n'est pas pour rien que leur consommation a diminué de 20% en dix ans. C'est au moins ce qu'affirmait Jo Henley, correspondant à Paris du journal anglais , the Guardian, dans le numéro du vendredi 2 novembre 2001 : "According to the latest figures, last year the French consumed just 84,000 tonnes of the cheese first invented by Marie Harel in the village of Camembert in 1791, down from an altogether healthier 105,000 tonnes 10 years ago."
Ce n'est pas pour rien qu'il se fait du camembert n'importe où, n'importe comment et par n'importe qui. Un tribunal ayant décidé, un jour lointain et historique désormais, que le mot camembert ne pouvait pas accorder une quelconque protection à ceux que se fabriquaient dans sa province d'origine, il se fait n'importe quoi en guise de camembert et ce ne sont pas les règlements sanitaires appliqués actuellement sans aucune justification en matière de fromages au lait cru qui vont aider à la renaissance d'un extra-ordinaire et inégalable joyau de la gastronomie normande, fromage et dessert tout à la fois, à condition d'être élaboré comme il doit l'être, façon "Marie Harel", et non pas bâclé à la sauvette comme le sont ceux que l'on trouve frigorifiés dans les vitrines réfrigérées de la grande distribution.
Je vous adresse les quelques photos que j'ai prises jeudi dernier du présentoir des fromages de Normandie. Vous conviendrez qu'il y avait autre chose à montrer des fromages traditionnels normands, auxquels il y avait lieu d'ajouter, ce que je vous concède volontiers, les "camemberts " du Président, du Châtelain et du Rustique, celui des Bons Mayennais, la mimolette d'Isigny, copie plutôt bien réussie du vieux fromage de Hollande, la trappe (industrielle à présent) de Bricquebec et les créations de Boursin. Mais laisser pour compte, en même temps que leurs jolies étiquettes, les Gillot, les Réo, les Jort, les Domaines de Saint Loup de l'avisé Philippe Meslon, les Vallée, les Marie Harel, les Moulins de Carel, les Lanquetot, les Isigny, les Bertand, les Lepetit, et même le nouvel arrivé de chez Graindorge, les Levasseur même s'ils ne sont plus fabriqués par ses successeurs, les derniers Pont l'Evêque fermiers, le seul camembert fermier fabriqué à camembert, les petits Pont l'Evêque de Gillot, le pavés d'Auge et du Plessis, etc....
Et exposer, à leur place, les 36 créations de Pennec, le fromager présent sur le marché de Deauville, comme si c'étaient des perles rares, parce qu'aux dénominations allusives et accompagnées des descriptions gaillardes de l'auteur de leur existence, il fallait oser. Encore que j'aime la créativité et tienne Monsieur Pennec come un maître de l'art de vendre dans la bonne humeur.
A notre époque, on permet n'importe quoi pourvu que cela se vende. Je suis tombé par hasard récemment sur les dizaines de palettes de petits reblochons destinés aux "Economiques de Normandie", apparemment expédiés par une laiterie savoyarde. Pas triste! Rien à voir avec les originaux et l'idée que je m'en fais.
Je n'attends pas de réponse à cette lettre : j'ai l'habitude d'avoir besoin de temps pour parvenir à faire changer d'opinion beaucoup de gens. Et en matière de défense du fromage, j'ai des idées et la volonté de les faire avancer. Je vous adresse ma dernière trouvaille : le livre que je viens d'éditer. N'est-ce pas un plaidoyer pour la consommation des produits laitiers et surtout du fromage? Et je vous promets d'en faire un best-seller, sans que vous ayez besoin de m'y aider...
Mais je reste disposé, quand vous le voudrez bien, à vous faire part de ma position pour la défense du patrimoine fromager de notre pays, le vrai, et à en discuter. Pourquoi pas à l'occasion du Congrès que j'organise le 22 novembre prochain sous le patronage du Ministère de l'Agriculture qui vient de me faire part de sa participation possible? Il est vrai qu'il semble fort civil et paraît disposé à répondre à ses correspondants.
Pour ne pas rester dans la récrimination, je dois vous remercier de l'assistance que vous me donnez pour organiser la quinzaine d'interventions que je fais dans à peu près toutes les écoles maternelles et primaires du canton de Fleury sur Andelle, durant la semaine du goût dans les écoles et la semaine qui suit. Ca marche! Et pour le Congrès, je vais faire imprimer ine nouvelle brochure sur les pâtes molles. Je suis à la chasse aux sponsors...

Croyez cher Monsieur, à ma persévérance pour la Défense et la Promotion des "véritables" des fromages de France.

Maurice LEGOY
Docteur Vétérinaire
Président-Fondateur de l'Adeftra