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ET SI ON ARRETAIT DE DECONNER ?

J'ai fait hier le tour de l'actualité, dans les vallées dévastées de la Seine-Maritime, vers Criel et Berneval sur Mer, à Martin-Eglise, à Valmont, à Saint Léonard, à Barentin. Que d'eau !

J'ai surtout traversé la campagne cauchoise, sur les routes qui longent les falaises, en bordure du littoral et sur celles qui parcourent les vastes ondulations qui recouvrent l'épaisse couche de craie sous-jacente d'une terre argileuse contenant les silex, qui vont dévaler les pentes denudées et s'amonceler là où le courant du ruisseau improvisé se fait moins fort, au bas des versants, sur les routes asphaltées et les étendues cimentées des agglomérations qui se sont développées autrefois à cet endroit de la vallée, pour bénéficier de la force motrice des rivières nécessaire à l'industrialisation naissante, pour actionner les métiers à tisser, pour évacuer l'eau des bains de la teinturerie, ... et le contenu des pots de chambre.

Les versants pentus qui bornent une vallée, je connais. Pensez que je suis né dans un village situé au dessus d'une vallée, où trois agglomérations qui comptaient plusieurs filatures, tissages et teintureries, faisaient la fortune des bourgeois industrieux de l'endroit, en permettant aussi aux chefs courageux des nombreuses familles nombreuses pas encore touchées par les techniques du planning familial de nourrir leur progéniture à peu près convenablement.

La ferme d'environ quinze hectares contenait une dizaine de parcelles, recouvertes des diverses cultures nécessaires à la marche d'une exploitation de polyculture-élevage, typique en ce temps-là dans notre région. Avec un assolement triennal un peu modifié pour faire face aux nécessité de l'affouragement des chevaux, la force motrice de l'époque : un tiers des surfaces ensemencées en blé, pour payer les fermages et subvenir aux nécessités de l'exploitation (achat d'engrais et de semences, renouvellement et entretien des outils d'exploitation); un autre tiers en avoine et en trèfle "de pays" pour la nourriture des chevaux, un dernier tiers enfin destiné à la culture des différentes recoltes nécessaires à l'alimentation du cheptel, pour la production des produits laitiers, essentiellement le beurre fabriqué à la ferme, qui vendu aux habitants des petites villes de la vallée, permettait à la fermière de faire bouillir la marmite (et une plutôt bonne marmite) et "d'endimancher" la famille plus ou moins gauchement, selon le bon (ou le mauvais) goût de la "maîtresse".

Vous pensez que les pentes des versants du Pays de Caux qui surplombent la vallée, je connais. C'est que le "plateau" cauchois n'a en rien l'air d'une plaine, une vaste étendue plate telle qu'on la rencontre en Beauce, en Picardie ou dans la Champagne Berrichonne, constellée de loin en loin par des villages et des hameaux regroupant plusieurs habitations, parcourue par des rivières sinueuses bordées d'un rideau d'arbres, qui emmènent vers la mer l'eau des précipitations, en général beaucoup plus modérées, et moins violentes aussi, que celles qu'on est en droit d'attendre en bordure de mer.

Sur le plateau cauchois, là où les dernières terres cultivées rejoignent les bois et les taillis qui recouvrent les flancs des petites vallées qui courent vers la mer ou le lit de la Basse-Seine, pentes et contrepentes s'enchevêtrent , mais l'eau qui n'est pas absorbée par ce sol argileux à la capacité d'absorption limitée, sutout si la soudaine précipitation orageuse fait suite à plusieurs jours de temps humide, cette eau-là touve toujours un exutoire pour quitter les hauteurs, d'autant que les routes qui entaillent les parois de la vallée ont été élargies et asphaltées pour faciliter la circulation automobile et qu'elles desservent de plus en plus des ilôts d'habitation, denses la plupart du temps, nouvellement implantés dans des zônes où il est possible de faire construire sur 1.000 mètres carrés une maison conséquente, d'aménager des appentis, un garage et de bétonner des allées, dont on prendra soin d'évacuer l'eau au moyen d'aménagements adéquats pour lui permettre de gagner le plus vite possible le contre-bas, inondant les petits copains qui vivent en dessous dans la vallée.

"De mon temps", c'était pendant la guerre, les orages étaient aussi violents qu'aujourd'hui, il arrivait qu'un orage plus violent qu'à l'ordinaire fisse monter l'eau jusqu'à inonder les caves des habitants du "Bas-du-Bourg", de Gruchet ou de Lillebonne. Il me semble toutefois que cela ne se produisait généralement pas suite à des montées aussi soudaines des eaux, mais après une période prolongée de pluies ou d'orages, et surtout à la fin de l'hiver, quand un brusque redoux faisait fondre un peu trop vite une couche de neige un peu plus épaisse que de coutume.

Le morcellement des champs, l'existence de prairies, encore qu'elles fussent de petite étendue dans notre région, la nature des cultures et surtout les façons culturales permettaient une lutte effective et efficace contre le ruissellement. Par conséquent, ils limitaient l'érosion et les conséquences qui en découlent, et pas seulement ces inondations catastrophiques qui n'en sont que la partie visible. Les pentes les plus abruptes étaient recouvertes d'herbe, et pour celles qui étaient labourées, on avait soin de pratiquer les labours en faisant le tracé de la raie perpendiculairement à la pente du sol arable, et la limitation de la surface consacrée à une culture donnée, quelques "acres" tout au plus, diminuait les risques de dévallement de l'eau et de la boue argileuse qu'elle pouvait arracher du sol pas encore stabilisé par la plante en développement. Les rangs de betteraves ou de pommes de terre étaient aussi tracés perpendiculairement à la pente et on avait soin de les "motter" après qu'on les eût sarclées, afin de les mieux fixer au sol. Naturellement ces façons culturales étaient un frein au ruissellement. Je me souviens même qu'après la récolte du blé, au moment où le sol dénudé donnait à l'eau la possibilté de s'écouler plus rapidement, on faisait du '"rivet", un labour léger qui consistait à rejeter la demi-raie soulevée par le soc de la déchaumeuse sur une largeur de sol équivalente pour la recouvrir, permettre la destruction des mauvaises herbes et... faciliter à l'eau du ciel de pénétrer dans le sol sous-jacent, en la mettant en réserve en vue d'une période éventuelle de sécheresse.

Et quand magré tout un gros orage s'abattait sur une parcelle qui venait d'être ensemencée, les eaux de ruissellement dévalaient les pentes comme aujourd'hui, jusqu'au petit chemin de terre qui menait aux différentes parcelles recouvertes de végétation, ou en bas de l'herbage du voisin où l'eau freinée dans son élan laissait sédimenter la boue argileuse qu'elle contenait.

Il n'y a plus aujourd'hui, dans nombre de nos villages du Pays de Caux, que quelques paysans pour donner des soins à la terre, de moins en moins d'hommes pour des surfaces cultivées de plus en plus étendues : quand il s'agit d'économiser la main d'oeuvre et les charges sociales qu'elle supporte, nos derniers cultivateurs expédient les derniers animaux de la ferme à l'abattoir, s'équipent d'engins plus modernes, plus performants, capables de mieux valoriser leur travail personnel, et ils agrandissent, à coups de millions d'emprunts, leur surface propre en avalant leurs derniers voisins qui partent à la retraite, contents de récolter un petit pécule qui complémentera opportunément une maigre retraite, de continuer à vivre dans la cour de ferme où ils ont toujours vécu.

Et ils te remembrent ces nouveaux champs en les joignant aux grandes étendues qu'ils cultivent déja. Et ils te labourent profondément ces sols avec leurs charrues à (trente-)six socs, en tous sens! Et ils t'y sèment blé, colza, maïs même avec les subventions que la PAC leur offre, betteraves des quotas sucriers, lin des contrats avec les filatures. Ils vivent plutôt bien d'une agriculture que leur ont fait faire tous nos technocrates européens, poussés par nos hommes politiques sous l'influence de toutes sortes de lobbyes, dont ils n'acceptent pas toute la responsabilité dans ses conséquences, prêts à changer leur fusil d'épaule le jour où on leur permettra de faire une autre agriculture, plus respectueuse de son environnement et aussi des hommes à qui elle doit procurer des produits sains, ce qui ne veut pas seulement dire d'hygiène irréprochable (trop sans doute).

Je constate avec plaisir que les éleveurs normands semblent décidés à permettre aux fromagers de la province de fabriquer à nouveau de "véritables" camemberts, de vrais livarots, des Pont l'Evêque de tradition. Il faut les y aider, pour repeupler leurs herbages de placides vaches de race normande, ces sympathiques vaches rouge bringé ou caille, qui produisent un lait aux aptitudes fromagères incontestées. Au lieu de subventionner les hectares de maïs destinés à la confection d'ensilages, qui peuvent quelquefois être à l'origine de la contamination du lait par les listéria, mais qui sont toujours la cause de saveurs douteuses pour ne pas dire repoussantes de la crème et surtout du beurre, permettons-leur de vivre convenablement d'un métier difficile, prenant, mais exaltant.

Après le retour des vaches, il faut qu'ils nous ramènent les prairies du Pays d'Auge et du Cotentin, ces prairies d'une flore riche en plantes moins productives sans doute, mais vecteurs peut-être d'oligoélements indispensables à notre santé, en composants susceptibles de nous garder en bonne forme.

Honnêtement, je crois sincèrement cela vaudra mieux que de donner de l'argent pour faire produire aux agriculteurs des denrées dont nous n'avons guère besoin. Et cela sera surement plus efficace que d'investir dans tous ces aménagements que l'on s'apprête à faire pour ne plus "voir jamais çà"! Des digues que la première crue emportera. Des bassins de rétention qui auront tôt fait de se remplir de la boue charriée par les eaux et qu'il faudra curer bientôt pour qu'ils restent efficaces. Que sais-je encore sorti de la cervelle de nos imaginatifs bureaucrates ?

Et si on arrêtait de déconner ?